#1   -   01-09-06

 
Des métiers « extrêmement gratifiants sur le plan humain »

Selon le Syntec (*), nos métiers seraient « extrêmement gratifiants sur le plan humain ».

Quoi de plus gratifiant en effet que d'être, au gré de contrats commerciaux, amenés à changer perpétuellement de lieu de travail et d'interlocuteurs à chaque nouveau projet, de n'entretenir avec son propre employeur que des rapports occasionnels ?

Quoi de plus gratifiant en effet que d'exercer son activité dans une entreprise qui n'est pas la sienne, où l'on a quotidiennement l'occasion de constater à quel point la délégation de personnel s'accorde à merveille avec le sens littéral du mot « sous-traitance » ?

Quoi de plus juste qu'effectuer des heures supplémentaires impossibles à se faire payer, que faire quotidiennement des trajets jusque chez le client (qui dépassent souvent largement le seul aller-retour entre le domicile et le lieu du véritable employeur), sans aucune compensation ?

Quelle meilleure stimulation au « sens du service, [à] la volonté de réussir et de se dépasser », que d'être parqués dans des open space ou sur des « plate-formes », relégués dans des locaux de fortune, et déconnectés de toute prises de décision ?

Quoi de plus générateur d' « esprit d 'équipe » et de solidarité en effet que de devoir se réinsérer continuellement au sein d'équipes hétérogènes, formées de prestataires de sociétés variées et invariablement pilotées et subordonnées aux « légitimes exigences » de nos clients ? F.

 

(*) Pour une vision prospective à cinq ans des métiers de la Branche SYNTEC-CICF, Syntec, Mars 2006.

 

Nous voulons être des « code monkeys »

Je suis tombé sur l'article The Development Abstraction Layer de Joel Spolsky (*), concernant le monde du développement logiciel. Il m'a été transmis par un ami, informaticien comme moi. J'ai l'impression que c'est un truc qui le fait saliver, ainsi que d'autres personnes avec qui j'en ai parlé. D'une certaine façon, c'est quelque chose que je peux comprendre.

L'auteur transfère un concept essentiellement issu de l'ingénierie informatique, la couche d'abstraction (abstraction layer), pour l'appliquer au management dans les entreprises de développement logiciel. Comme beaucoup d'autres, il constate que le modèle hiérarchique de management est peu efficace et frustrant pour tous, employés comme clients. D'un autre côté, un programmeur n'est brillant que s'il peut s'adonner passionnément à son activité. L'auteur propose alors une autre voie pour l'encadrement des développeurs informatiques.

Il s'agit de faire une sorte de cocon pour le programmeur de façon à ce qu'il n'ait rien d'autre à se soucier que de la production de son code, de l'isoler de toute problématique (considérations marketing, matériel, etc.) autre que la tâche sur laquelle il travaille. Selon l'auteur, un « bon » management serait une équipe qui servirait sur un plateau des conditions de travail idéales pour le « nerd » qui sommeille en chaque ingénieur, lui permettant ainsi d'atteindre le maximum de son efficacité. L'auteur avance que le succès de Microsoft serait dû à une orientation particulièrement efficace de son management dans cette direction.

Nous avons ici un bon exemple de la déresponsabilisation par la spécialisation poussée à son extrême, au point d'en devenir une caricature. La réduction à l'état de simple rouage bien huilé de la machine productive semble être le rêve de nombre d'informaticiens.

Peu importe où se dirige le navire, tant qu'on peut bricoler à loisir le gouvernail. Que penser d'une société dont les membres implorent qu'on les prive de leur pouvoir de décision au sein de la vie collective ?

L.

(**) http://www.joelonsoftware.com/articles/DevelopmentAbstraction.html